Image du mois : L’œdème cornéen chez un chien

Un chien Setter Anglais de 13 ans est présenté pour une modification d’aspect des yeux (opacification, voile blanc) progressant et s’accentuant depuis 3 ans environ. A l’examen ophtalmologique, les test de clignement à la menace est présent à droite et à gauche. Les yeux sont bien ouverts et ne présentent pas de sécrétions. Le test de Schirmer est de 16 mm/min dans l’œil gauche et de 15 mm/min dans l’œil droit ; la tension oculaire est de 14 mmHg et 18 mmHg dans l’œil droit et dans l’œil gauche respectivement. Les conjonctives de l’œil droit sont modérément hyperhémies. Chacune des deux cornées présente une opacification diffuse. L’examen des structures intraoculaires est limité en raison de l’opacification de la cornée, mais le cristallin est bien en place. Enfin, le test à la fluorescéine est négatif à droite et à gauche.

Photo 1. Œil droit à l’examen initial. Noter un œdème diffus dense et une néovascularisation superficielle. L’œil gauche est atteint d’une façon similaire (avec un œdème discrètement moins dense)

1. Qu’est-ce que l’œdème cornéen ?

L’œdème cornéen est la conséquence d’une accumulation d’eau dans le stroma cornéen. Ce dernier correspond à la majeure partie de l’épaisseur de la cornée, il est hydrophile et constitué de plans de collagène parallèles les uns par rapport aux autres. L’agencement très régulier des plans de collagène du stroma permet à la cornée d’être transparente. L’œdème correspond donc à une hyper hydratation du stroma, ce qui perturbe la régularité des espaces entre les fibrilles de collagène et a pour conséquence une perte de la transparence de la cornée. Dans des cas sévères, des bulles d’eau peuvent se former par coalescence, migrer vers la surface épithéliale de la cornée et provoquer des ulcères cornéens par déchirure épithéliale (ulcère cornéen). Les cellules de l’endothélium (épithélium postérieur) de la cornée ont un rôle fondamental dans le maintien d’un état de déshydratation relatif du stroma cornéen, crucial pour maintenir la transparence de la cornée. Ces cellules disposent en effet de pompes transmembranaires sodium/potassium ATPase dépendantes qui refoulent des ions sodium et potassium dans l’humeur aqueuse ; ce faisant, les lois de l’osmose permettent d’équilibrer les échanges hydriques entre le stroma cornéen et l’humeur aqueuse pour expulser le surplus d’eau du stroma cornéen. Un dysfonctionnement des cellules endothéliales ou une diminution de leur densité conduit à un dépassement des capacités de la pompe endothéliale et donc à l’hyperhydratation du stroma. A l’état « normal », la partie centrale de la cornée mesure 450 à 500 µm. en cas de dégénérescence endothéliale, comme dans le cas présent, l’épaisseur de la cornée peut atteindre plus de 2000 µm.

2. Quelles sont les autres particularités du tissu cornéen qui en expliquent la transparence ?

- Un épithélium de surface non kératinisé ;

-La taille et l’agencement régulier des fibrilles de collagène stromal en plans parallèles les uns par rapport aux autres

- Des nerfs cornéens (sensitifs, terminaison du nerf trijumeau) non myélinisés ;

- Une densité cellulaire très basse ;

- Une absence de vaisseaux sanguins, de vaisseaux lymphatiques et de mélanine (hors contexte de kératite).

3. Quelle est la démarche diagnostique d’une dégénérescence/dystrophie de l’endothélium cornéen ?

a) critères épidémiologiques : la race ainsi que l’âge de l’animal permettent d’orienter le diagnostic ; de même l’absence de signes de douleur oculaire, la progression lente et le caractère bilatéral de l’œdème permettent de renforcer la présomption ;

b) L’aspect de l’œdème cornéen : l'œdème d'origine épithéliale est généralement peu étendu et peu intense, tandis que l'œdème secondaire à un dysfonctionnement endothélial est diffus et intense ;

c) L’absence d’autres lésions à l’examen : signes d’uvéite antérieure ou de luxation antérieure du cristallin ; de plus, l’examen en lampe à fente (ou biomicroscope) permet d’évaluer semi-quantitativement l’épaisseur de la cornée ;

e) La mesure de la pression intra-oculaire est importante pour exclure l’hypothèse d’un glaucome ;

f) l’échographie oculaire en mode A (pachymétrie cornéenne) ou un échographe à haute fréquence (HRUS ou UBM) permettent de mesurer précisément l’épaisseur de la cornée et ainsi confirmer le diagnostic.

Le diagnostic le plus probable dans ce cas est une dégénérescence sénile de l’endothélium cornéen.

La dégénérescence endothéliale sénile est fréquemment rencontrée. Elle affecte généralement les animaux âgés et évolue lentement. La cause est inconnue mais la pathogénie implique une décompensation progressive de l'endothélium cornéen, conduisant à un œdème cornéen progressif. Cet œdème est souvent observé dans en premier temps en regard du quadrant temporal avant de progresser vers le centre et d'affecter l'ensemble de la cornée. L’intensité de l’œdème cornéen peut entraîner une opacification significative de la cornée et donc une altération de la vision. Habituellement, cette affection est indolore. Néanmoins, elle est fréquemment associée à la survenue d’épisodes d’ulcères cornéens, soit par une complication de  kératopathie bulleuse, soit en favorisant la survenue d’ulcères cornéens à bords décollés. Ces deux types d’ulcères cornéens, très douloureux, sont généralement associés à un retard significatif de cicatrisation.

4. Quels sont les autres causes d’un œdème cornéen chez le chien ?

 

5. Quels traitements peut-on proposer ?

La plupart des chiens demeurent « visuels » et les yeux « confortables » très longtemps. Le traitement à ce stade consiste en l’instillation (à vie) d’un substitut de larmes aux hyperosmotiques afin de limiter, dans une certaine mesure, la progression de l’œdème. Un tel traitement ne permet néanmoins pas de résorber l’œdème.

A des stades très évolués d’opacification de la cornée, ou lorsque des complications douloureuses d’ulcère cornéen surviennent (ulcères à bords décollés et/ou kératopathie bulleuse), une baisse d’acuité visuelle est fréquemment recensée. Dans ces cas de figure, un traitement chirurgical est indiqué.

La thermokératoplastie (Photo 2) : cette technique est indiquée en cas complication de l’œdème par une kératopathie bulleuse. A ce stade, de véritables gouttes d’eau migrant vers l’épithélium cornéen provoquent des ulcères cornéens caractérisés par un retard important de cicatrisation. Après désépithélialisation de la cornée (si indiqué en cas d’ulcère à bords décollés), la thermokératoplastie consiste à appliquer un cautère à chaleur, superficiellement dans le stroma et de manière circulaire, en regard de multiples sites cornéens, pour provoquer une contraction/coagulation des fibres de collagène du stroma antérieur. Les sites « brûlés » formeront ainsi un maillage empêchant la migration de bulles d’eau vers l’épithélium cornéen.

Photo 2. Thermokératoplastie chez un chien. (Gelatt K.N and Brooks D.E. (2011). Surgery of the cornea and sclera. In: Gelatt K.N., Gelatt J.P. (editors). Veterinary Ophthalmic Surgery. Elsevier, Saunders, p. 229.)

La greffe (kératoplastie lamellaire antérieure superficielle) d’avancement conjonctival sous forme d’enveloppe. Le principe de l’intervention consiste à retirer deux bandes de stroma intermédiaire (kératectomie lamellaire antérieure) en périphéries dorsale et ventrale de la cornée ; puis, sur les sites de kératectomie, à effectuer des greffons (kératoplastie) d’avancement de conjonctive bulbaire. L’intérêt réside dans le drainage d’une partie de l’œdème du stroma cornéen par la vascularisation conjonctivale des deux lambeaux d’avancement. Bien entendu, la partie axiale de la cornée n’est pas incluse dans les sites opératoires. Plusieurs publications, de même que l’expérience au sein du CHV Frégis de cette technique indiquent des résultats satisfaisants en ce qui concerne l’amélioration de la transparence de la cornée. Une étude récente menée sur 44 chiens (72 yeux) a évalué la technique de « l’enveloppe ». La vision a été entièrement restaurée pour tous les yeux un mois après l'opération et était toujours présente 10 mois après l'opération.

Photo 3. Photographies peropératoire. (Giannikaki S, Escanilla N,Sturgess K, Lowe RC. A modified technique of keratoleptynsis (“letter-box”) for treatment of canine corneal edema associated with endothelial dysfunction. Vet Ophthalmol. 2020;23:930–942.)

Photo 4. Même chien que Figure 1. traité avec une greffe conjonctivale et un recouvrement par la membrane nictitante. La photo date de deux semaines après la chirurgie (retrait des fils du recouvrement)

Photo 5. Même chien que photo 3. à un mois après la chirurgie. L’œil est visuel et confortable et le test de fluorescéine est négatif.

La kératoplastie (greffe) transfixante de cornée fraîche. Cette technique a longtemps été la seule permettant de restaurer parfaitement la transparence de la cornée en regard du site greffé, puisque le greffon apporte des cellules endothéliales. Elle a été régulièrement utilisée chez l’homme dans cette indication (dystrophie de Fuchs). Chez le chien, elle donne également de bons résultats malgré des risques de rejet. Toutefois, les cellules endothéliales ne survivant pas longtemps une fois explantées, la contrainte chez le chien d’une telle technique consiste à réunir en 48 heures, l’animal donner, l’animal receveur ainsi que le chirurgien.

La kératoplastie endothéliale. Chez l’homme, des techniques de transplantation de cellules endothéliales sous la forme d’un tapis cellulaire apportent de très bons résultats. Cette technique est beaucoup moins invasive et permet de couvrir une surface plus importante de cornée que la kératoplastie transfixiante. Les complications post-opératoires semblent également moindres, notamment les risques de rejet.

Retour

Informations pratiques

Centre Hospitalier Vétérinaire Fregis

Retour
  • Lun
    9h00 à 19h00
  • Mar
    9h00 à 19h00
  • Merc
    9h00 à 19h00
  • Jeu
    9h00 à 19h00
  • Vend
    9h00 à 19h00
  • Sam
    9h00 à 19h00
  • Dim
    Urgences seulement

En cas d'urgence

Veuillez appeler :

01 49 85 83 00
Retour

Adresse de la clinique

2 accès pour nous rendre visite : Rue Jacques Destrée, 75 013 Paris :  Accès piétons : 8h00 - 20h00 9 rue de Verdun, 94 250 Gentilly : Accès parking, urgences et piétons : 24h/24, 7 j/7
retrouvez-nous sur Google Maps
Retour

Veuillez appeler ce numéro en cas d'urgence :

01 49 85 83 00