Par le Dr Elodie DARNIS, spécialiste (Dip. ECVIM-CA) du service de médecine interne du CHV Frégis.
REGURGITATIONS ET VOMISSEMENTS CHRONIQUES CHEZ UN CHAT
Anamnèse
Kaschmir, chat mâle castré de 12 ans, d’intérieur strict, correctement vacciné et vermifugé, est présenté en consultation pour des vomissements chroniques depuis 6 ans à raison de deux à trois fois par semaine. Depuis 10 jours, une dysorexie est notée associée à des épisodes de régurgitations systématiques après ingestion de croquettes. Une alimentation en boite permet une résolution partielle des régurgitations. La propriétaire rapporte également du « gagging » et du ptyalisme associés lors des épisodes. Le « gagging » est un réflexe physiologique correspondant à une synchronisation de l’ensemble des muscles de la région du larynx et du pharynx, visant à éjecter tout élément étranger qui pourrait s’introduire dans les voies respiratoires hautes.
Examen clinique à l’admission
A l’examen clinique, on note une perte de poids de 1 kg, une amyotrophie épi-axiale, des anses intestinales épaissies et une légère déshydratation.
Bilan anamnestique et clinique
Le bilan anamnestique et clinique fait état de régurgitations post-prandiale, d’un « gagging », d’un ptyalisme, d’une perte de poids dans un contexte de vomissements chroniques.
Hypothèses diagnostiques
L’association de régurgitations post-prandiale, d’un « gagging » et de ptyalisme oriente vers une affection œsophagienne de type corps étranger (trichobézoard), sténose œsophagienne, ou tumeur œsophagienne principalement. Le diagnostic différentiel des régurgitations est présenté Figure 1. Une entéropathie chronique est également suspectée et celle-ci pourrait être à l’origine de reflux chronique.
Figure 1 : diagnostic différentiel des régurgitations
Prise en charge de Kashmir
Kashmir est placé sous fluidothérapie pour réhydratation et maropitant. Un bilan sanguin est réalisé.
Examens complémentaires
Bilan sanguin
Un bilan hématologique, biochimique, électrolytique et une T4 totale (Figure 2) sont effectués.
Les résultats montrent une discrète leucocytose neutrophilique, une hémoconcentration associée à une hyperalbuminémie compatible avec une déshydratation. Une augmentation modérée de l’ALT et des ASATs pouvant être compatible avec une cholangite, une entéropathie chronique principalement, et une discrète hyperglycémie pouvant être compatible avec un état de stress.
Figure 2 : bilan sanguin
Échographie abdominale
Une échographie abdominale est effectuée et révèle des signes d’entéropathie discrète compatible avec une maladie inflammatoire chronique de l’intestin ou un lymphome de bas grade (les parois intestinales sont proéminentes avec un aspect plissé des anses en coupe transverse).
Radiographie thoracique
Compte tenu des régurgitations récentes, une radiographie thoracique est effectuée et montre la présence d’une suspicion de sténose œsophagienne crâniale associée à une dilatation aérique de l’œsophage.
Figure 3 : Radiographie thoracique
(La flèche montre une zone anormale tissulaire avec un rétrécissement œsophagien)
Examen endoscopique
Une gastroscopie est programmée et montre la présence d’un trichobézoard retiré facilement lors de l’examen à l’aide d’une pince crocodile (Figure 4). Après le retrait du corps étranger, une sténose œsophagienne de 2-3 cm dans l’œsophage moyen est visualisée. Des injections de triamcinolone sur la zone de sténose sont effectuées à l’aide d’une aiguille per-endoscopique (Figure 4) avant la dilatation au ballonnet.
Au niveau de la sténose, la muqueuse est épaissie, érythémateuse. La sténose a été bougiennée à l'endoscope puis dilatée au ballonnet de 12mm (ballon de dilatation EZDilate, Figure 5). La portion la plus distale de l'œsophage reprend un diamètre normal mais conserve une hyperhémie modérée et un épaississement compatible avec des signes d’œsophagite de reflux.
Figure 4 : gastroscopie
Figure 5 : ballonnet de dilatation EZDilate (Olympus)
Un traitement symptomatique est mis en place, inhibiteur de la pompe à proton (oméprazole 1 mg/kg BID) et protecteur de la muqueuse gastrique (sucralfate 1 sachet pour 10 kg TID). Une alimentation hyperdigestible en boite est initiée de manière fractionnée.
Un contrôle endoscopique 3 jours après la procédure est réalisé sans signe de récidive de la sténose œsophagienne (Figure 6).
Figure 6 : contrôle endoscopique, absence de récidive de sténose, persistance de signes d’œsophagite
Seule une alimentation hyperdigestible faible en matière grasse est poursuivie sur le long terme. Les précédents traitements sont arrêtés progressivement.
Depuis la précédente intervention, Kashmir n’a pas présenté de récidive de la sténose œsophagienne et les vomissements chroniques sont résolus.
Discussion
La prise en charge d’une sténose oesophagienne a été traité de différente manière en médecine vétérinaire :
- Bougiennage de la sténose [1-2]
- Dilatation par ballonnet de la sténose [1, 3, 4]
- Pose d’un stent œsophagien [5]
- Résection chirurgicale de la sténose
- Pose de sonde de gastrotomie permanente (PEG) [6]
Les sténoses œsophagiennes peuvent être secondaire à des épisodes d’œsophagite résultant de reflux (secondaire à des maladies digestives chroniques, une anesthésie, ingestion de substances caustiques, ingestion de doxycycline…).
Dans notre cas, une entéropathie chronique avec des signes de reflux est suspectée à l’origine de la sténose. Le corps étranger identifié a probablement majoré les signes de régurgitations et a permis le diagnostic de sténose.
La prise en charge d’une sténose œsophagienne consiste à stopper les régurgitations. Il convient donc de procéder à une dilatation de la sténose. Le bougiennage permet d’exercer des forces de cisaillement et des forces radiales tandis que le ballonnet ne permet d’exercer que des forces radiales. Plusieurs dilatations au ballonnet sont parfois nécessaires avant stabilisation de la sténose.
Avant dilatation, une aiguille endoscopique de sclérothérapie de 23-25 gauge et 4-5 mm de longueur est utilisée pour injecter de la triamcinolone (6-8 mg/patient en aliquots de 0,5 mL par quadrant). La triamcinolone est 1,25 fois plus puissante que la prednisone.
La longueur de la sténose peut être déterminée par fluoroscopie pour adapter précisément la taille du ballon. La taille minimale de ballon recommandée est de 1 cm. La taille de ballon doit être de 2-3 mm de plus que le diamètre du méat œsophagien et on augmente la taille par incréments de 2 à 4 mm jusqu'à atteindre le diamètre de l'œsophage normal. Quand le ballon est gonflé et bien positionné, celui-ci est laissé en place 1-2 minutes.
Le taux de succès de cette procédure varie entre 77-88 % selon les études [1,3]. Certains considèrent un succès comme un taux de régurgitation < 50 % ou bien un succès de la procédure quand on obtient une tolérance à tous les types de nourriture.
Une méthode récente a été décrite et consiste en la mise en place d’un B-Tube. Au préalable, une sonde d’œsophagostomie est positionnée combinée à un ballonnet gonflable appelé le B-Tube. La sonde est positionnée sous fluoroscopie après dilatation de la sténose au ballonnet classique. Deux dilatations par jour sont réalisées, le tube est laissé en place en moyenne 41 jours et les propriétaires apprennent à gonfler le tube et procède aux dilatations eux-mêmes. L’étude ne montre pas de complications majeures et le taux de succès est de 91 % [7].
Conclusion
La sténose œsophagienne entraînent des régurgitations, le plus souvent d’apparition aiguë. Il est important de l’inclure dans le diagnostic différentiel lors de l’ingestion de corps étrangers, de doxycycline, ou lorsqu’une d’anesthésie récente est rapportée. Un bougiennage ou une dilatation par ballonnet peuvent être proposés en première intention. Il est important de mentionner au propriétaire que ces procédures doivent être répétées de nombreuses fois, sans certitude de guérison mais qu’ils existent de nouvelles méthodes prometteuses en cas d’échec des méthodes classiques.
[1] McLean GK, LeVeen RF. Shear stress in the performance of esophageal dilation: comparison of balloon dilation and bougienage. Radiology 1989;172:983-6.
[2] Bissett SA, Davis J, Subler K, Degernes LA. Risk factors and outcome of bougienage for treatment of benign esophageal strictures in dogs and cats: 28 cases (1995-2004). J Am Vet
Med Assoc 2009;235(7):844-50.
[3] Leib MS, Dinnel H, Ward DL, Reimer ME, Towell TL, Monroe WE. Endoscopic balloon dilation of benign esophageal strictures in dogs and cats. J Vet Intern Med 2001;15(6):547-52.
[4] Melendez L, Twedt DC, Weyrauch EA, Willard MD. Conservative therapy using balloon dilation for intramural, inflammatory esophageal strictures in dogs and cats: a retrospective study of 23 cases (1987-1997). Eur J Comp Gastroenterol 1998;3: 31-6.
[5] Emre A, Sertkaya M, Akbulut S, et al. Self-expandable metallic stent application for the management of upper gastrointestinal tract disease. Turk J Surg 2018;34(2):101-5
[6] Armstrong PJ, Hardie EM. Percutaneous Endoscopic Gastrostomy. J Vet Intern Med 1990;4(4):202-6.
[7] Tan DK, Weisse C, Berent A, Lamb KE. Prospective evaluation of an indwelling esophageal balloon dilatation feeding tube for treatment of benign esophageal strictures in dogs and cats. J Vet Intern Med 2018;32(2):693-700.