Grisou, un chat européen mâle castré d’un an et demi, est référé au CHV Frégis pour la prise en charge d’une anémie sévère évoluant depuis deux semaines et réfractaire au traitement antibiotique et corticoïdes mis en place par le vétérinaire traitant.
Grisou est initialement présenté chez son vétérinaire pour l’exploration d’un abattement et d’une anorexie d’apparition aigue depuis quelques jours. Le bilan sanguin révèle une anémie sévère normochrome normocytaire non régénérative (hématocrite 7%, réticulocytes 2300/mm3), un bilan biochimique normal (y compris bilirubinémie) et un test de Coombs négatif. Un traitement à base de prednisolone à 2mg/kg/jour et de doxycycline à 10 mg/kg/jour est prescrit. Aucune amélioration clinique ou de l’hémogramme de contrôle ne sont notées au rendez-vous de suivi deux semaines plus tard.
Par ailleurs, Grisou ne présente pas d’antécédent médical, il a accès à l’extérieur et vit avec trois autres chats qui sont en bonne santé. Il n’est pas à jour de ses vaccins et ne voyage pas.
A l’admission au CHV Frégis, Grisou est abattu et présente un souffle systolique apexien gauche d’intensité 3/6 associé à une tachycardie et des muqueuses très pâles. Sa température est normale et il ne présente pas d’autre anomalie à l’examen clinique.
1/ Quelles affections suspectez-vous ?
2/ Quels examens complémentaires réalisez-vous ?
3/ Quels traitements prescrire et quelle évolution attendre ?
1/ Quelles affections suspectez-vous ?
Le diagnostic différentiel d’une anémie non régénérative inclut les anémies d’origine périphériques pré-régénératives ou centrale non régénérative. Etant donné l’absence de signes de régénération 2 semaines après la mise en évidence de l’anémie, une origine centrale non régénérative est privilégiée.
Etant donné le contexte et les résultats du bilan sanguin déjà obtenus, les causes les plus probables à considérer chez Grisou sont les atteintes dysimmunitaires (Pure Red Cell Aplasia (PRCA) ou anémie hémolytique non régénérative à médiation immunitaire (NRIMHA)), les agents infectieux (FeLV, FIV, Mycoplasma haemofelis…), les processus néoplasiques (leucémie, lymphome...) et les atteintes médullaires primaires (aplasie médulaire, syndrome myélodysplasique…).
2/ Quels examens complémentaires réalisez-vous ?
Avant de poursuivre l’exploration, une transfusion de sang total après groupage sanguine est effectuée étant donné que Grisou présente des signes cliniques de décompensation de l’anémie (souffle, tachycardie, abattement). Une légère amélioration post-transfusionnelle de l’anémie est notée (hématocrite 8% contre 6% à l’admission).
La recherche d’agents hémotropes, notamment par la réalisation d’une PCR Mycoplasma haemofelis, et des tests de dépistage FeLV/FIV se révèlent négatifs.
Une ponction de moelle osseuse est réalisée sous anesthésie générale en vue de l’obtention d’un myélogramme, et comparé au donnée d’un hémogramme récent.
Le myélogramme met en évidence une hypocellularité importante de la moelle liée à une aplasie érythrocytaire et une lignée myéloide bien développée, avec la présence d’une lymphocytose avec présence d’aggrégats, compatible en priorité avec une PRCA (Pure Red Cell Aplasia : destruction immunitaire visant les stades précurseurs érythroïdes).
3/ Quels traitements prescrire et quelle évolution attendre ?
Dans l’attente des résultats du myélogramme, une corticothérapie est initiée, puis poursuivie suite au resultats (prednisolone 2mg/kg/24h), associée à de la ciclosporine (7mg/kg/jour).
Cinq jours après sa première transfusion, l’anémie de Grisou est persistante (hématocrite 6%). Etant donné la dégradation clinique associée et l’absence de régénération, une nouvelle transfusion de sang totale après cross match est effectuée. L’hématocrite post-transfusionnel est alors de 10%. Le traitement est poursuivi à l’identique.
Différents contrôles cliniques et hémogrammes sont réalisés par la suite. Les premiers signes de régénération et d’augmentation de l’hématocrite apparaissent après 10 jours de traitement. Les paramètrent hématologiques se normalisent après 1,5 mois de traitement.
Une fois les rémission clinique et biologique objectivées, les suivis sont réalisés toutes les 3 à 4 semaines. Une diminution progressive (par pallier de 20%) de la dose de prednisolone, et étalée sur une période de 6 mois, est effectuée à chaque suivi après confirmation de l’absence de récidive. La ciclosporine quant à elle est maintenue au-delà pour plusieurs mois. 4 mois après le diagnostic initial, Grisou ne présente pas de récidive de son anémie, actuellement sous 4 mg/kg/prise de ciclosporine à jours alternés.
Quelques informations sur la PURE RED CELL APLASIA (PRCA)
La PRCA est une affection de la moelle osseuse, conséquence d’une réponse immunitaire acquise conduisant à la destruction des cellules précurseurs érythroïdes précoces de la moelle osseuse. Son origine est la plupart du temps immunitaire primaire mais elle parfois été décrite comme pouvant être secondaire à un traitement à l'érythropoïétine recombinante (EPO, Darbépoétine), à une infection virale ou à une vaccination par un virus vivant modifié.
La PRCA affecte principalement les jeunes chats. L’anémie normocytaire normochrome non régénérative est très souvent sévère (hématocrite médian à 7% dans la littérature) et parfois associée à une lymphocytose.
La réalisation d’un examen de la moelle osseuse permet de différencier la PRCA d’une autre affection proche : l'anémie hémolytique non régénérative à médiation immunitaire (NRIMHA). Cette maladie est aussi à l’origine d’une destruction des précurseurs érythrocytaires dans la moelle. Mais au contraire de la PRCA, qui est définie par une aplasie ou une hypoplasie érythroïde de la moelle osseuse, la NRIMHA est associée à une hyperplasie érythroïde de la moelle osseuse et/ou à un arrêt de la maturation érythroïde. Dans les 2 cas, une analyse histologique sur biopsie de moelle osseuse peut parfois s’avérer nécessaire si le myélogramme est pauvre et s’avère non conclusif.
Concernant la prise en charge thérapeutique, la plupart des chats atteints nécessitent initialement une ou plusieurs transfusions, étant donné la sévérité de l’anémie et le caractère arégénératif. Tous les chats doivent être soumis à un groupage sanguin avant la première transfusion et à un crossmatch pour les transfusions suivantes.
Une double thérapie immunomodulatrice est souvent nécessaire. La prednisolone (2-4mg/kg/jour) et la ciclosporine (7-20mg/kg/jour) sont les plus utilisées. L’utilisation d’autres molécules (chlorambucil, mycophénolate mofétil, ou agents de chimiothérapie comme le cyclophosphamide) a également été rapportée dans la littérature.
Le pronostic de ce trouble hématologique est réservé, avec un taux de mortalité décrit d’environ 20-30%, une rémission parfois lente (plusieurs semaines) pouvant nécessiter plusieurs transfusions et des récidives possibles à distance (30-50%). Les suivis doivent être fréquents et le sevrage en prednisolone très lent sur plusieurs mois. Certains chats peuvent avoir besoin d'un traitement immunosuppresseur à long terme (plusieurs mois ou années voire à vie).
Quelques articles :
- Black V, Adamantos S, Barfield D, et al. Feline non-regenerative immune-mediated anaemia: features and outcome in 15 cases. J Feline Med Surg 2016; 18: 597–602.
- Viviano K, Webb J. Clinical use of cyclosporine as an adjunctive therapy in the management of feline idiopathic pure red cell aplasia. J Feline Med Surg 2011; 13(12):885-95.
- Winzelberg Olson S, Hohenhaus AE. Feline non-regenerative anemia : Diagnostic and treatment recommendations. Journal of Feline Medicine and Surgery (2019) 21, 615–631
- Weiss DJ. Bone marrow pathology in dogs and cats with non-regenerative immune-mediated haemolytic anaemia and pure red cell aplasia. J Comp Pathol. 2008 Jan;138(1):46-53
Swann J.W, Szladovits B, and Glanemann B. Demographic Characteristics, Survival and Prognostic Factors for Mortality in Cats with Primary Immune-Mediated Hemolytic Anemia. J Vet Intern