La partie antérieure de l'œil, qui contient les lentilles transparentes (cornée et cristallin) qui focalisent les images sur la rétine, est baignée par un liquide nourricier : l'humeur aqueuse. L’humeur aqueuse est produite par le corps ciliaire par des mécanismes de diffusion passive, filtration, ultrafiltration et sécrétion active. Une fois dans la chambre postérieure du segment antérieur de l’œil, l’humeur aqueuse passe par l’ouverture pupillaire vers la chambre antérieure de l’œil grâce à un gradient thermique. Chez le chien comme chez le chat, la majeure partie de l’humeur aqueuse est drainée par l’angle irido-cornéen. Situé à la jonction entre la cornée, la sclère et la périphérie de l’iris, l’angle irido-cornéen chez le chien est inclus dans la fente ciliaire et il est constitué par le ligament pectiné et des réseaux trabéculaires, uvéal et cornéo-scléral. Le ligament pectiné est une structure d’origine mésenchymateuse perforée, constituée d’un réseau de fibres dont les limites sont d’une part la base de l’iris, d’autre part la face interne de la cornée. Le ligament pectiné clôt antérieurement la fente ciliaire ; c’est la portion intraoculaire visible de l’angle irido-cornéen (Photo 1). Le drainage de l’humeur aqueuse se poursuit par les plexus aqueux et veineux de la sclère. La pression intraoculaire « normale » (de 10 à 20 mm Hg) dépend de l’équilibre entre la production d’humeur aqueuse et le drainage de celle-ci. Une augmentation de la pression intra-oculaire (glaucome) est la conséquence d’une diminution du drainage de l’humeur aqueuse, dans la mesure où des glaucomes secondaires à une surproduction d’humeur aqueuse n’ont jamais été rapportés chez le chien.
Le glaucome chez le chien est le terme utilisé pour décrire un groupe complexe d’affections aboutissant à une augmentation de la pression à l’intérieur de l’œil, ce qui endommage les axones du nerf optique et des cellules ganglionnaires de la rétine. Le nerf optique, qui transporte l’information visuelle depuis la rétine vers le cerveau, est la structure la plus sensible aux élévations de pression intra-oculaire, et des dégâts irréversibles sur la vision peuvent survenir en peu de temps, et ce d’autant plus que la pression intra-oculaire est élevée et que son augmentation est brutale. Alors que chez l’homme, les élévations de la pression intra-oculaire demeurent très lentes et généralement modérées (glaucome à angle ouvert), le glaucome aigu est un mode d’évolution fréquent chez le chien (glaucome à angle fermé); celui-ci résulte d’une élévation rapide et souvent brutale de la pression intra-oculaire, et ce généralement en quelques heures. La vision peut dans certains cas être définitivement abolie en 48 heures sans traitement.
Un diagnostic et une gestion thérapeutique très précoces sont requis pour préserver la fonction visuelle. Il s’agit d’une urgence absolue. En cas d’erreur diagnostique, ou d’absence de contrôle de la pression intra-oculaire par le traitement, les glaucomes mènent inévitablement à la cécité, voire la perte du globe oculaire.
Les glaucomes primaires sont majoritaires chez le chien. Ils sont héréditaires. Les races Chow-Chow, Shar Pei, Cocker Américain, Basset Hound, et Boston Terrier sont considérées comme les races les plus touchées, bien que beaucoup d’autres puissent l’être. L’affection résulte d’un défaut de conformation de l’angle irido-cornéen présent dès la naissance, mais les animaux ne sont généralement malades qu’entre l’âge de 5 et 12 ans, et ce de façon généralement brutale. Il s’agit de glaucomes dits « à angle fermé ». Dans les cas de glaucome primaire, l’affection est toujours bilatérale, mais les deux yeux sont rarement affectés simultanément. Les anomalies concernent la plupart du temps le ligament pectiné anormalement étroit voire fermé : il s’agit d’une goniodysgénésie. Parfois, la largeur du ligament pectiné est normale mais une bandelette de tissu mésodermique « recouvre » le ligament pectiné et ses pores, en raison d’un défaut de résorption d’une bandelette de tissu d’origine mésodermique durant le développement intra-utérin. Cette forme de goniodysgénésie correspond à une goniodysplasie (Photo 2).
Photo 1: examen de l’angle irido-cornéen au travers d’une lentille de gonioscopie. Les structures visibles sont : la cornée (1), le ligament pectiné (2), normalement ouvert dans ce cas et l’iris (3)
Photo 2 : examen de l’angle irido-cornéen au travers d’une lentille de gonioscopie chez un chien Fox-Terrier. La structure visible de l’angle est le ligament pectiné (2), il est ici dysplastique et mal ouvert. Le chien est donc prédisposé au glaucome.
Ainsi, les cas de glaucome primaire sont généralement présentés en état d’hypertension oculaire aiguë (pression intraoculaire supérieure à 45 mmHg). Les signes cliniques incluent : un blépharospasme modéré, une congestion veineuse épisclérale, un œdème diffus plus ou moins intense de la cornée, une pupille en mydriase aréactive. (Photo 3).
Photo 3 : Glaucome primaire chez un chien de race Terre-Neuve. La pression intraoculaire a été mesurée à 65 mmHg. Noter la congestion veineuse épisclérale, l’œdème diffus de la cornée ainsi que la pupille en mydriase
Lorsque le diagnostic d’hypertension oculaire a été établi sur l’œil affecté, il est important d’essayer d’en déterminer l’origine, primaire ou secondaire. Des critères épidémiologiques (race) et clinique (pupille en mydriase) permettent d’orienter le diagnostic vers un glaucome primaire. Lorsque la cornée est trop opaque, une échographie oculaire peut être indiquée pour exclure les hypothèses d’une tumeur intraoculaire ou d’une luxation de cristallin. Il est aussi très important d’examiner l’autre œil, notamment en effectuant un examen gonioscopique (examen de l’angle irido-cornéen) afin d’évaluer si celui-ci est fermé, étroit ou ouvert.
L’examen doit être pratiqué sur l’œil adelphe pour deux raisons : tout d’abord, l’œdème de cornée, la mydriase souvent présente ainsi que différents remaniements du segment antérieur de l’œil rendent l’examen impraticable sur l’œil atteint. De plus, le glaucome induit rapidement une fermeture de la fente ciliaire et donc un rétrécissement de l’angle irido-cornéen sous l’effet de l’hypertension oculaire. L’interprétation de l’examen serait ainsi faussée sur l’œil atteint. Dans la mesure où les anomalies de l’angle irido-cornéen sont bilatérales en cas de prédisposition, l’examen de l’œil adelphe présente le double avantage d’apporter un élément souvent décisif pour le diagnostic différentiel entre une origine primaire et secondaire d’une part, et de préciser le risque de survenue d’un glaucome sur l’œil sain d’autre part.
L’angle irido-cornéen est inaccessible à l’examen direct et il est nécessaire d’avoir recours à un système optique pour l’examiner. Deux types de lentilles sont fréquemment utilisées pour cela en médecine vétérinaire : celle de Koeppe (Photo 4) et celle de Barkan ; il existe également les verres de Goldmann qui utilisent un système de miroirs. Les lentilles (système le plus utilisé) sont placées sur la cornée après instillation préalable d’un anesthésique topique (Photo 5). Une solution de contact doit être installée entre la lentille et la surface cornéenne : du sérum physiologique dans le cas de la lentille de Barkan, et une solution viscoélastique pour la lentille de Koeppe. L’angle irido-cornéen –ou pour être plus précis sa portion intra-oculaire, le ligament pectiné- est alors examiné à l’aide d’un biomicroscope ou d’un ophtalmoscope direct (Photo 6). L’examen doit être effectué sur la plus grande partie possible de la circonférence de l’angle irido-cornéen pour être concluant.
Photo 4 : lentille de gonioscopie de Koeppe
Photo 5: un chat avec une lentille de gonioscopie de Koeppe
Photo 6 : examen gonioscopique effectué à l’aide d’un ophtalmoscope direct
Une alternative en voie de progression au diagnostic du glaucome primaire consiste en l’utilisation de plus en plus fréquente de l’échographie à haute fréquence ou UBM, utilisant des sondes de 35 voire 50 MHz. L’examen permet alors d’évaluer précisément l’aspect ainsi que la largeur de la fente ciliaire sur l’œil atteint et l’œil adelphe. Des publications ont paru démontrant l’intérêt de cet examen complémentaire dans le diagnostic étiologique du glaucome. Néanmoins, les informations fournies par cet examen ne remplacent pas celles apportées par l’examen gonioscopique, mais elles peuvent être complémentaires.