Par le Dr Faustine Guillerit, clinicienne du service NAC du CHV Frégis
Présentation du cas
Un lapin mâle entier de 7 ans, suivi habituellement pour malocclusion dentaire et sans aucun antécédent de maladie respiratoire, est présenté pour dysorexie depuis quelques jours et polypnée évoluant depuis 24 heures.
L’examen clinique met en évidence une polypnée associée à un tirage nasal marqué et des bruits respiratoires augmentés à l’auscultation pulmonaire. Des pointes dentaires maxillaires sont également observées à l’examen buccodentaire vigile. Aucune autre anomalie n’est détectée.
1. Quels est votre diagnostic différentiel ?
Ici, l’examen clinique oriente vers une origine basse des anomalies respiratoires. Il est possible de faire un différentiel par localisation pulmonaire ou extra-pulmonaire :
- pneumonie (origine infectieuse, notamment bactérienne), Chronic Obstructive Pulmonary Disease (COPD), néoplasie (primaire VS métastatique), œdème pulmonaire
- extra-pulmonaire = néoplasie (thymus, mésothéliome, plèvre, trachée distale), épanchement pleural (cardiogénique VS infectieux VS tumoral), abcès médiastinal, hernie diaphragmatique, pneumothorax, sténose trachéale
2. Quels examens complémentaires ?
Etant donné la suspicion d’une origine basse des signes respiratoires, les radiographies thoraciques sont l’examen de première intention à effectuer. Il est conseillé de réaliser trois clichés (deux vues latérales et une vue ventrodorsale) afin de maximiser les chances de détection d’une lésion pulmonaire unilatérale.
Vues latérales : Pneumothorax, signes d’atélectasie du lobe moyen droit
Vue ventrodorsale : Pneumothorax gauche (présence d’air extra-pulmonaire dans l’hémithorax gauche) associé à un shift médiastinal droit marqué compatible avec un pneumothorax sous tension, signes d’atélectasie pulmonaire
Conclusion temporaire :
Présence d’un pneumothorax sévère sous tension à gauche d’origine indéterminée.
3. Quelle prise en charge d’urgence ?
La pose d’un drain thoracique gauche est essentielle à ce stade, étant donné les conséquences majeures d’un pneumothorax sous tension sur la fonction cardiovasculaire via la compression des structures intrathoraciques (diminution du retour veineux avec conséquences sur la fonction cardiaque, hypoventilation avec hypoxémie/hypercapnie/acidose respiratoire).
Un drain thoracique se pose sous anesthésie générale avec intubation du patient. Une prémédication légère avec réversion possible est conseillée avant l’induction à dose effet. La technique de pose de drain est similaire à celle des chiens et chats.
4. Quels autres examens afin d’avancer dans le diagnostic ?
Un scanner est indiqué afin d’explorer avec davantage de précision la cause du pneumothorax. Il est recommandé de réaliser le scanner sur animal intubé avec ventilation pré-acquisition afin d’insuffler tant que possible les lobes atélectasiés secondairement à la présence du pneumothorax.
De plus, en cas d’identification d’une lésion, une cytologie et/ou une bactériologie pourront être conseillées.
Description du scanner :
-Discret pneumothorax gauche (drain thoracique espace pleural dorsal gauche)
-Atélectasie sévère du parenchyme pulmonaire gauche et du lobe moyen droit
-Pattern bronchique diffus et hyperatténuation du parenchyme pulmonaire droit
-Bronchiectasie des lobes pulmonaires droits
-Consolidation partie médiale du lobe accessoire
Dans ce cas, cytologie et bactériologie pulmonaires n’ont pas été possibles.
5. Quelles sont vos suspicions diagnostiques ?
Un processus infectieux bactérien ou une COPD sont suspectés en priorité. Toutefois, un processus néoplasique pulmonaire diffus ne peut pas être exclu en raison de l’atélectasie importante d’une majorité du parenchyme pulmonaire.
6. Quelle prise en charge ?
Une oxygénothérapie, une antibiothérapie (tétracycline et/ou azithromycine en première intention), une vidange du drain thoracique et de soins de support (fluidothérapie, analgésie, renutrition).
Dans ce cas, le pneumothorax a récidivé malgré le drain avec une fuite en continu. Deux pleurodèses ont été réalisé sans efficacité. Par conséquent, une thoracotomie a été programmée afin d’identifier la source de la brèche aérique et arrêter cette dernière.
Le patient est décédé à l’ouverture du thorax. Un prélèvement de l’ensemble du parenchyme pulmonaire a été effectué pour analyse histologique.
Description des résultats histologiques :
-Atélectasie sévère à gauche
-Prolifération non encapsulée et infiltrante légère (droite) à sévère (gauche) au sein des lumières alvéolaires de grandes cellules rondes présentant des critères de malignité élevés
7. Quelle est le diagnostic définitif ?
Tumeur à grandes cellules épithélioïdes en faveur d'un sarcome histiocytaire.
Discussion :
Il existe deux types de pneumothorax spontanés : primaire (lors d’absence de maladie pulmonaire sous-jacente) et secondaire (causé par une atteinte du parenchyme pulmonaire). Bien que rares, ces deux types de pneumothorax sont rapportés chez le lapin :
-primaire avec la présence d’une ou plusieurs bulle(s) emphysémateuse(s)
-secondaire avec un sarcome histiocytaire pulmonaire ou avec une pneumonie granulomateuse multifocale.
Comme mentionné ci-dessus, l’association néoplasie pulmonaire et pneumothorax a déjà été décrite, et ce avec le même type tumoral que celui mis en évidence dans ce cas. En effet, une étude rétrospective concernant les caractéristiques microscopiques des sarcomes à grandes cellules du lapin a montré la présence d’un pneumothorax dans 4/17 cas, suspecté secondaire à la destruction de l’architecture pulmonaire par la tumeur étant donné le développement infiltratif diffus de cette dernière.
Si la cytologie pulmonaire permet d’orienter fortement le diagnostic vers un sarcome histiocytaire et reste conseillée, le gold standard reste l’immunohistochimie. Toutefois, une problématique est présente pour le lapin étant donné que ce sont majoritairement des anticorps de cette espèce qui sont utilisés en routine dans les laboratoires de diagnostic de médecine vétérinaire. Des anticorps de rat ou souris peuvent être employés mais cela n’est actuellement pas possible en routine.
Le traitement des sarcomes histiocytaires chez le lapin domestique n’est que peu décrit actuellement. Un protocole à base de lomustine a été réalisé mais a abouti à l’euthanasie du patient en raison de sa forte dégradation. Une approche chirurgicale pourrait être intéressante dans le cas de masse(s) pulmonaire(s) identifiable(s) et/ou de lobe(s) atteint(s) déterminé(s).
La prise en charge des pneumothorax spontanés dépend de leur classification. En effet, dans le cas de pneumothorax primaires (comme majoritairement chez le chien), une approche chirurgicale avec lobectomie pulmonaire peut être indiquée tandis qu’un pneumothorax secondaire (comme chez le chat) nécessite une approche médicale. D’après les données actuelles de la littérature chez le lapin, les atteintes pulmonaires concomitantes à un pneumothorax semblent extensives davantage comme chez le chat. Cela pourrait être dû à l’absence de lobules pulmonaires favorisant l’extension des lésions. Par conséquent, une prise en charge médicale semble plus indiquée. Après stabilisation du patient et obtention d’un diagnostic via l’imagerie thoracique (scanner) et la cytologie pulmonaire (idéalement du poumon ipsilatérale, sinon du poumon controlatéral selon son atteinte) ou suite à un pneumothorax sous tension continu, une approche chirurgicale peut être envisagée.
Le pronostic associé à un pneumothorax spontané, qu’il soit primaire ou secondaire, semble sombre chez le lapin. Cela pourrait être lié à un diagnostic tardif des lésions pulmonaires associées, dû à une détection difficile des signes cliniques précoces et/ou à une progression à bas bruit d’une pathologie pulmonaire extensive.